Le cinéma s’expose aujourd’hui au musée : quelle relation entre la salle de cinéma et l’espace d’exposition ? Les frontières entre musée et cinéma s’avèrent de plus en plus poreuses, mais il est difficile d’évaluer l’influence de l’un sur l’autre.
Fait nouveau de la période récente, les cinéastes migrent des salles obscures vers les musées. On a pu voir au Centre Pompidou des expositions consacrées à Alfred Hitchcock, Jean-Luc Godard, Chantal Akerman, Abbas Kiarostami et Victor Erice. Les cinéastes migrateurs sont tous des « auteurs », des créateurs pour qui le cinéma est un mode d’expression artistique avant d’être un produit. Ensuite, ils sont chevronnés, ils peuvent se prévaloir d’une oeuvre conséquente. Enfin, ces manifestations ont montré que ces cinéastes s’expriment par d’autres moyens que le cinéma au sens strict : peinture, dessin, photographie, sculpture, vidéo, installations et autres hybridations interdisciplinaires.
Loin de n’être que pur luxe ou caprice, cette pluridisciplinarité permet aux créateurs de déployer leur vision sur plusieurs terrains, et avec autant de singularité et de puissance qu’au cinéma. Abbas Kiarostami ou Dennis Hopper se sont révélés excellents photographes, Erice est un remarquable metteur en sons et en vie de tableaux, le travail d’installation vidéo de Varda sur les veuves de marins égale ses plus beaux films, alors que Godard a su mettre en scène l’espace du musée avec autant de mélancolie radicale et de création-destruction que dans ses films récents.
Que « gagnent » les cinéastes à passer au musée ? Que « gagnent » les musées à exposer des cinéastes ?
Par Serge Kaganski, les Inrockuptibles
INTERVENANTS
- Chantal Akerman, cinéaste
Née en 1950 à Bruxelles, résidant aujourd’hui à Paris, elle réalise son premier court métrage, Saute ma ville en 1968. Suivra une œuvre composée d’une dizaine de fictions, dont Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles (1975), Un divan à New York (1996), ou encore Demain on déménage (2003) et d’autant de documentaires, dont la série « des frontières » : D’Est (1993), Sud (1998) et De l’autre côté (2003), jusqu’au récent Là-bas (2006). En 1995, sa première installation filmique D’Est, au bord de la fiction est présentée dans de nombreux centres d’art et musées à travers le monde. Le Centre Pompidou a présenté la rétrospective intégrale de ses films et les installations Autobiography - Selfportrait et From the other side, en 2004.
- Chris Dercon, curateur
Né en 1958 à Lierre en Belgique, Chris Dercon est historien d’art, spécialiste des rapports entre l’art ancien et l’art moderne. Il est aussi un des grands commissaires d’exposition européens. Il a dirigé le Musée Boijmans Van Beuningen à Rotterdam, où il a été nommé à l’âge de 36 ans, et il a, depuis 2003, la responsabilité de la Haus der Kunst (Maison de l’Art) à Munich.
- Vincent Dieutre, cinéaste
Né en 1960, Vincent Dieutre explore « un territoire entre le documentaire et l’auto-fiction », recherches commencées dès Lettres de Berlin (1988) et poursuivies dans ses longs métrages, notamment Rome désolée (1995), Mon voyage d’hiver (2003), Fragments sur la Grâce (2006). Il réalise également de nombreuses vidéos dont Bonne Nouvelle (2001), Bologna Centrale (2004) ou encore Conversations avec Yaël André (2008). Son dernier film est EA2 (2e exercice d’admiration : Eustache) (2008). Passionné par les relations entre art contemporain et cinéma, il écrit pour diverses publications et est également membre actif du collectif pointligneplan. Il enseigne régulièrement l’esthétique filmique, notamment à l’Université Paris VIII.
- Dominique Gonzalez-Foerster, artiste
Née à Strasbourg en 1965, elle vit et travaille entre Paris et Rio de Janeiro. Artiste-réalisatrice, l’essentiel de sa pratique repose sur des productions plastiques. Lauréate en 2002 du Prix Marcel Duchamp, elle expose Exotourisme dans l’Espace 315 du Centre Pompidou. Sa première grande exposition personnelle, Expodrome, a eu lieu à l’Arc, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, au printemps 2007. Elle expose actuellement, jusqu’au 13 avril 2009, à la Tate Modern de Londres. Sa production filmique contient une dizaine d’œuvres dont les plus récentes sont Parc Central en 2006 et Atomic Park en 2003/2004, mais aussi des suivis d’artistes lors de tournées (Alain Bashung en 2003, Christophe en 2002). Elle est l’une des cofondateurs de la société de production Anna Sanders Films.
- Ariane Michel, artiste et cinéaste
Née en 1973. Ariane Michel a d’abord réalisé des courts métrages qui s’inscrivaient dans des dispositifs d’installation ou de performance mais migraient quelquefois dans les salles obscures des festivals. Son premier long métrage, Les Hommes, sorti en salles en juin 2008, a reçu le Grand Prix de la Compétition Française au FID de Marseille 2006. Son projet le plus récent, The Screening, a été présenté en 2007 dans le cadre d’un « Art Statement » à la foire Art 38 Basel. On a pu voir aussi son travail lors d’une exposition personnelle en février 2006 à l’Atelier du Jeu de Paume, dans des expositions collectives en centres d’art ou dans des festivals de cinéma (FRAC de Reims, CRAC de Sète, FID Marseille, MoMA de New York, Festival de Locarno).
- Modérateur : Heinz Peter Schwerfel, directeur artistique de la KunstFilmBiennale (Köln)
Né en 1954 à Cologne en Allemagne, il étudie la philosophie et l’histoire de l’art à Aix-la-Chapelle et à Paris (Sorbonne IV). Journaliste pour les magazines culturels Transatlantik, Zeit Magazin, ArtPress, Beaux Arts Magazine, Filmkorrespondenz, il produit en 1998 une série télévisée sur les artistes Daniel Buren, Mario Merz, Richard Long et Christian Boltanski pour le Centre Pompidou. En 1989, il créé sa propre société de production, Artcore Film & Communication. Il est directeur artistique de la KunstFilmBiennale (Biennale du Film d’Artiste) de Cologne depuis 2002 et responsable de la section « cinémas d’artistes » du Festival international de cinéma indépendant de Buenos Aires (BAFICI) depuis 2005.
3 QUESTIONS
Bonjour,
débat qui promet d’être intéressant mais alors quel est l’intérêt pour un cinéaste d’être enfermé dans un musée, le cinéaste ne perd t-il pas en visibilité de son œuvre ?
Pierrick, le 1 décembre 2008 à 18:37
Le déplacement de films et vidéos vers les musées a-t-elle rendu les frontières plus poreuses entre arts plastiques et cinéma ?
Qu’est-ce que cette migration signifie pour le cinéma ?
Marie G, le 2 décembre 2008 à 21:25
Le public des musées est-il vraiment différent du public des salles de cinéma ?
Giulia, le 3 décembre 2008 à 12:39