Luc Moullet est cinéaste. D’abord critique de cinéma aux Cahiers, il réalise ses premiers films dans les années 60, des courts métrages (Un steak trop cuit, 1960; Nous sommes tous des cafards, 1997, Les Havres, 1983) et des longs métrages (Brigitte et Brigitte, 1965; Une aventure de Billy the Kid, 1970; Les Naufragés de la D17, 2002).
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1 - COMMENT ÇA VA ?
Il m’est difficile de parler d’une façon globale de la critique, française, américaine ou hongroise et de la critique que j’écris. Il me semble que la critique devrait plutôt partir de certaines réalités précises du film (elle pourrait ne parler que d’un plan ou d’une séquence), avant éventuellement de dériver vers quelque chose de plus général. Trop souvent, elle se contente d’une chevauchée cursive à travers tous les aspects du film, ce qui ne mène pas à grand-chose. L’exemple le plus évident est l’emploi très fréquent, entre parenthèses, d’un adjectif suivi du nom de l’interprète…
Dangereuse aussi l’analyse structuraliste, quand elle ne débouche pas sur l’impression ressentie par la critique. Fréquemment, on ne sait pas si le journaliste a aimé le film ou non. Et le lecteur, au vu du texte ignore s’il est intéressant pour lui d’aller voir le film… C’est d’ailleurs une bonne astuce : au cours de l’analyse, il y a des éléments plutôt négatifs et d’autres plutôt positifs. Ce qui fait que le critique, si le film fait un tabac dans la postérité, pourra toujours dire « Ah mais moi, j’avais bien vu que… » L’oeucuménisme actuellement généralisé est aussi très négatif, en fin de compte.
2 - COMMENT ÇA MARCHE ?
Bien sûr, la relation critique du critique a évolué depuis cinquante ans. A l’époque, certains marchaient au système des cotations, explicites ou implicites. On mettait 7 au sujet, 4 à l’interprétation, et l’on faisait le total. Cette façon de procéder ridicule a aujourd’hui disparu. Ou encore, on examinait le sujet. Si le scénario était médiocre, sans intérêt ou ne correspondait pas à l’idéologie particulière du critique, il était inutile d’aller plus loin. Le scénario du « Secret magnifique » et l’idéologie de « Naissance d’une nation » se révélaient détestables, mais c’était ce handicap même qui faisait leur grandeur. Il fallait que le réalisateur se débrouille pour surmonter ce passif.
Moi, je crois que chaque film impose – s’il est réussi – des critères qui lui sont propres. Il est idiot de juger « Moi, un noir » sur la plastique, par exemple.
Moi je cherche toujours à intéresser le spectateur, à le faire rire avant toute chose, à adopter le ton de ma critique au style du film, quand celui-ci est de qualité. Les analyses théoriques de Mitry sur un film de Chaplin, très alambiquées et parfois justes, m’ont toujours paru déplacées face à un film qui faisait rire toute la salle.
3 - COMMENT ÇA SE DÉPLACE ?
Les critiques voient parfois les films américains, sur un DVD que leur prête l’attaché de presse. Ce qui est idiot, puisque souvent un gros travail des réalisateurs est fait sur la stéréo.
Je remarque que, aujourd’hui, se perd la vocation de découvreur que devait avoir auparavant la critique. Le journaliste, aujourd’hui, suit l’actualité, alors qu’avant il pouvait la devancer : aider un film à sortir, aider un réalisateur à découvrir quel pourrait être le sujet de son prochain film et quelle est sa nature profonde. Le critique devrait pouvoir revisiter les films, corriger les tendances dominantes, remettre à leur place les cinéastes surestimés comme Feyder, Ken Russell ou Almodovar, et vanter les inconnus et les cinéastes injustement oubliés, comme Bernard Deschamps, Michael Hers ou Kevin Smith.
Les critiques ne profitent pas assez des moyens qu’offre la vidéo, laquelle leur permet une analyse plus poussée d’une séquence.