Photographes, cinéastes, des artistes s’essayent aujourd’hui à une réappropriation de l’Histoire – histoire de la peinture, histoire du cinéma. Nouveaux montages, reformulation des problématiques, remakes : vers quoi vont-ils ?
Hormis quelques brèches aussi précoces qu’extraordinaires, à l’image de celles ouvertes par Andy Warhol, on peut grosso modo dater au début des années 90 les premières tentatives de rapprochement entre art contemporain et cinéma.
Dans une logique de post-production, décryptée par le critique d’art Nicolas Bourriaud, une nouvelle génération d’artistes délaisse peu à peu ce qu’on pourrait qualifier de « matière première » pour interpréter, reproduire ou détourner un certain nombre de produits culturels disponibles. Et c’est Angela Bulloch qui, à l’occasion de la Biennale de Venise en 1993, expose la vidéo de Solaris, le film de science-fiction d’Andreï Tarkovski, dont elle a remplacé la bande-son par ses propres dialogues. Ou Douglas Gordon qui, la même année, organise une projection au ralenti de son 24 Hour Psycho, de manière à ce que le film original d’Alfred Hitchcock atteigne une durée de 24 heures. L’artiste Candice Breitz, plus jeune, s’inscrit, elle aussi, dans cette tradition inaugurée dans les années 90 et qui consiste à s’emparer du cinéma comme d’un matériau que l’on tord et déforme à plaisir.
S’il est clair aujourd’hui qu’une partie des plasticiens et cinéastes se retrouvent à bien des endroits, quelque part entre le dispositif vidéo et le cinéma expérimental, c’est encore et toujours le parcours de diffusion de ces films qui fait toute la différence. Pas un hasard donc, si des artistes comme Philippe Parreno et Douglas Gordon ont tenté d’intégrer le circuit de distribution industrielle avec Zidane, un portrait du XXIe siècle, ou si, à l’inverse, un cinéaste audacieux comme Michel Gondry n’hésite pas à faire appel à un plasticien (Pierre Bismuth) pour concevoir Eternal Sunshine of the Spotless Mind, dont le scénario, écrit par Charlie Kaufman et le réalisateur lui-même, reçut un oscar en 2004.
Par Claire Moulène, les Inrockuptibles
INTERVENANTS
- Valérie Jouve, photographe et cinéaste
- Née en 1964. Ses films (Grand Littoral, 2003, Time Is Working Around Rotterdam, 2006), souvent composés de personnages et de paysages urbains, en se démarquant insensiblement de l’univers photographique, proposent une véritable reformulation de la problématique du cadrage et du montage à partir des propriétés de l’image fixe. Ses expositions personnelles les plus récentes ont eu lieu en 2006 à la Galerie Xippas à Paris, au Cultural Forum for Photography à Berlin, et au Centre Régional d’Art Contemporain de Sète.
- Mark Lewis, photographe et cinéaste
Né en 1957 à Hamilton au Canada, vit et travaille à Londres. Il n’a cessé, dans son premier travail filmique, de revenir sur l’histoire du cinéma (Upside Down Touch of Evil, 1997, Centrale, 1999). À la manière d’un anatomiste, il dissèque les différents éléments constitutifs d’un film pour exposer, selon une procédure analytique, le mécanisme même de sa production (Two Impossible Films, 1995-97, The Sense of the End, 1997). Depuis 2000, il s’oriente vers une réappropriation des propriétés de la peinture : ses films, toujours tournés en 35 mm, puis numérisés et présentés comme des tableaux dans des espaces de galeries, constituent de véritables peintures de cinéma (Rush Hour, Morning & Evening, Cheapside, 2005, Isosceles, 2007).
- Clemens von Wedemeyer, artiste et cinéaste
- Né en 1974 à Göttingen en Allemagne, vit aujourd’hui à Berlin. Dans les films qu’il réalise, souvent accompagnés de « making of », Clemens von Wedemeyer n’hésite pas à renouer avec l’histoire du cinéma de fiction, intégrant des séquences de films d’Antonioni, de Fritz Lang ou de Tarkovski, ou encore des références burlesques : Big Business, avec Laurel et Hardy, dont il tourne un remake en 2002 dans une prison allemande. Son cinéma, mêlant ainsi documentaire et fiction, est fortement ancré dans la réalité politique et sociale en même temps qu’il véhicule une interrogation sur la nature de la mise en scène et de la réalisation cinématographiques.
Modération : Philippe-Alain Michaud, Centre Pompidou